Suite à divers problèmes personnels j'avais mis de côté -trop longtemps- les concerts et parfois la musique. Une rencontre fortuite m'a fait replonger dedans. De fils en aiguilles me voilà de retour dans ma maison familiale, là où j'avais stocké ce pan de ma vie que je voulais peut-être oublier. Ça m'a pris comme ça, j'ai frénétiquement réouvert tous ces cartons de disques, de flyers, de cds et de fanzines. Plus j'en ouvrais plus des souvenirs que j'avais totalement oblitérés de mon esprit sont remontés à la surface. J'avais oublié qu'un temps j'étais cette personne-là, plus enjouée, plus heureuse, plus épanouie, grâce à la musique. En regardant de plus près tous ces cartons de disques je me suis rendu compte qu'il y avait dedans pas mal de petits trésors, de groupes oubliés (ou pas) ayant marqué (plus ou moins) le cours de ma monotone existence.
De retour aux concerts et dans "la scène" en général, je me suis rendu compte que les choses avaient évolué (et c'est bien normal) dans un sens "différent" de ce que j'avais personnellement connu il y a quelques années. L'accès à la musique étant encore plus facile qu'auparavant je me suis mis à crouler (et je croule toujours) sous la profusion de choses à écouter, résultant -pour ma part- en une nécessité d'un retour aux sources (mes sources). J'ai reparcouru mes classiques (et je suis loin d'avoir fini).
Tout en le faisant je me suis dit que ça pourrait être sympa d'en faire profiter les autres. Ayant toujours été une figure très passive et anonyme (par choix), me complaisant dans le fait d'être spectateur plus qu'acteur je me suis dit qu'il était peut-être temps de réaliser quelque chose : en l'occurrence refaire découvrir des groupes "anciens" ou "oubliés". Ça ne touchera probablement personne, mais ça me permettra -j'espère- de mieux structurer ma pensée, à tourner la page, à avancer ... enfin. Autant dire que je ne sais pas la fréquence à laquelle je vais faire ça. Je vais juste "essayer".
Le premier de ces groupes qui m'est revenu dans la gueule sans que je ne m'y attende un seul instant c'est Shallnotkill
. D'abord par le 7 pouces dans lequel l'incroyable "Laïus" (probablement un des premiers titres que j'avais entendu d'eux) m'a procuré un sentiment intraduisible, une secousse. J'étais capable après tout ce temps d'écrire les paroles sans aucun oubli, comme si ce texte était rentré/ancré en moi, enfouis dans un compartiment de mon cerveau auquel je n'avais plus accès. Une sorte de madeleine de Proust musicale qui vous fait replonger dans un passé goûteux et agréable. La résurrection de moments oubliés. Très étrangement plusieurs titres m'ont procuré ce sentiment probablement parce que les paroles de Shallnotkill
me touchent par divers aspects (poétique, politique ?).
La modélisation civile
Il ne manquera que des barreaux
Masquer les odeurs
Asphyxier les vérités
Un canevas d'incertitudes
Songer à ce qui ne sera jamais
Tel un renvoi acide, un laïus pour vindicte
L'abstraction est l'extension à l'infini des possibles
Se féliciter de l'unidirectonnalité comtemplative
Les regards croisés n'ont plus lieu d'être que pour répondre aux intérêts libéraux
Les insolubles équations du langage
Sentiments confinés aux frontières de l'être charnel
Cette chair impassible
Erodée par le tourment céphalique
Il n'y a pas plus aveugle que celle qui ne veut pas voir
Il n'y a pas plus bavard que celui qui ne veut rien dire
Haranguant la vie
Jouissant impunément
Le verbe serait-il un bâillon ?
Déjà, l'image viole les consciences ...
Fort de cette impression, je me suis mis à rechercher le 10 pouces (Self Titled). Je savais pertinemment qu'il était quelque part, mais impossible de mettre la main dessus. De retour chez ma maman, j'ai fouiné et refouiné. Sans succès. J'ai même contacté un vieux (copain) pour savoir s'il lui en restait (je te parle de ça car il lui reste certains trucs de Shallnotkill
, donc même après toutes ces années c'est trouvable sans que tu n'aies à te ruinier sur Discogs). Sans succès. J'ai fini par le retrouver quelque temps plus tard dans les disques que j'avais déjà ramenés dans mon "chez moi". J'ai posé le disque sur la platine, et, là, à l'instant précis où "faire de l'ombre au soleil" a débuté (le second titre) est venue comme une évidence le besoin d'écrire sur ce que j'écoutais. Ce titre fait écho à ce que j'ai pu vivre à un moment donné de ma vie (au boulot, quand j'ai arrêté les concerts) : "Faire sienne toutes les victoires", "La rancœur mutant en une main d'amertume". Comme quoi parfois tu as la réponse à tes questionnements dans un texte, et ça ne t'empêche pas de commettre les mêmes erreurs encore et encore. Shallnotkill
c'est parfois aussi ça : te rappeler des évidences. A l'heure où tout n'est que paraître, réécouter ce titre remet les pendules à l'heure en me redonnant une leçon d'humilité. Ca fait du bien. C'est juste et pertinent.
Faire sienne toutes les victoires.
Une clef marquée du sceau de la fierté,
Qui n'ouvrira jamais que les portes de la solitude.
Une branche pourrie de vanité,
Emportée par un torrent d'autosatisfaction,
Par des vagues de jalousie,
S'échouant sur les rivages du mépris,
S'enlisant dans une vase de prétention.
La rancoeur mutant en une main d'amertume
Levant une voile tisse de trop vives certitudes,
Posé nonchalamment sur la réalite.
Faire de l'ombre au soleil,
Faire de l'ombre au soleil ...
Un des meilleurs titres de Shallnotkill
reste pour moi (et oui ça peut paraître bizarre) leur reprise de Hiatus
: Entombed universe
. Je me souviens à "l'époque" avoir écrit à Christelle pour lui demander les paroles, impossible de les trouver, c'était pas aussi simple qu'aujourd'hui pour mettre la main sur ce genre d'information. (J'ai dû mettre 2 secondes pour les trouver pour ce billet). Je t'invite d'ailleurs à écouter les deux versions pour te faire un avis. Le duo de guitares dans celle de Shallnotkill
reste pour moi incroyable. Et pour le coup ce titre n'est pas une "redécouverte", il me hante depuis des années, toujours présent sur mon "baladeur", il revient me rappeler la probable raison de ce mal-être qui m'habite, et fait naître un espoir, celui d'agir ensemble. "I'm looking for a unified life resistance". Comme si Shallnotkill
avait une réelle appétence dans ses paroles (je pense que le choix de cette reprise n'est pas anodin) pour tout ce qui concerne nos façons de vivre, les rapports humains, et les sentiments qui leur sont associés. En tout cas je le sens comme ça.
A way of doom
Death Suffocation
All around the nations
Symptoms of humanity
Drying their minds
Endless pain results
Buit by liesI'm looking for
A unified life resitance
Impossible pour moi d'écrire quelque chose sur Shallnokill
, sans citer leur morceau "fleuve" : Le sens de la vie, qui pendant plus de trente minutes vous envoûte dans un style que jamais je n'ai entendu, à la limite de la dissonance. Le sens de la vie est bien sûr inspiré du film des Monty Python (The meaning of life) et traite de la grande question de l'existence. A écouter d'urgence si tu n'as pas encore eu ce privilège.
Cet album modestement appelé shallnotkill.
(donc sans titre) aborde d'ailleurs tout un tas de sujets: écologique sur L'origine du déclin, historique sur Palimpseste, des réflexions sur la possession et tout le gâchis engendré par la société de consommation sur Tonio, et complètement philosophique -à mon sens- sur Le sens de la vie. Les paroles de chaque titre étant annotées de textes explicatifs ou de réflexions sur le sujet abordé nous rappellent que Shallnotkill
est aussi un groupe politique et politisé. La discrétion et l'humilité dans laquelle cet engagement est exprimé en renforcent le sens. Comme quoi ça ne sert à rien d'en faire des caisses pour être touchant.
Des luttes ajournées
des vides à combler
des corps se consument
des esprits s'abandonnent
L'austérité court
Et piétine l'essence même de l'existence
Marquant l'être
Des stigmates d'une piétée nouvelle
Masquer la puanteur du monde
Par une odeur de sainteté.
Un voile de soie, pour cacher le visage nécrosé du rigorisme.
Que la mort a rendu plus que jamais vivace.
Restreindre le champ des possibles
Pour mieux asservir
Diluer les cultures
Glorifier la prédation
Absoudre et se résoudre
Un édifice de consensus se referme sur des idéaux.
Ca prophétise.
Usant d' aphorismes sous cellophane
Des dents blanches cathodiques
dans nos ganglions tuméfiées
Ratification, résolution, résignation
De la bave au coin des lèvres
Un terreau fertile d'ignominies
Dont la teneur fasciste est distillée
Dans un divertissement avilissant
Des journées entières
à traduire des silences en mots
Des journées entières
A tenter de jouir la vie
Comme la mort de nos ultimes convulsions
Des journées entières
à s'essayer à mesurer
Un vide incommensurable
Des journées entières ....
Pour être tout à fait clair, je ne suis pas du tout bien placé pour mettre des mots sur la musique ou sur les styles. Loin de moi l'idée de vous décrire la musique de Shallnotkill
, elle se vit. De plus elle ne vous fera pas l'écouter plus ou moins. Décrire les sentiments qu'elle me procure est à mon sens bien plus important que décrire la musique elle-même (de toute façon je ne sais pas faire ça). J'espère juste que ces quelques mots pourront susciter l'envie à quelques-unes ou quelques-uns de jeter une oreille à Shallnotkill
. Non pas parce que c'est un groupe qui a compté -et compte toujours- pour moi, mais parce que c'est un groupe qui relève -à mon sens- d'une autre époque, d'un autre temps, qui semble si lointain et en même temps si proche. Un temps où la musique se vivait différemment (en tout cas pour moi).
Impossible de me rappeler par quel biais j'ai récupéré ce DVD dans lequel on peut y voir quelques titres en live. Mais il ressort de ces images quelque chose qui me rappelle une époque, des images qui semblent sincères. Dans lesquelles, nous ne voyons aucun téléphone brandi, duquel aucune trace n'est palpable, mais qui quand elles sont visionnées, vous laisse penser qu'il est possible de vivre et de ressentir la musique différemment qu'aujourd'hui, c'est-à-dire, avec son coeur, avec ses tripes, et non par un "télécran" au travers duquel je ne ressens plus rien. Shallnotkill
c'est ça aussi, un témoignage -parmi tant d'autres- de ce qu'a pu être la musique en dehors de l'air du numérique, où nous étions plutôt que paraissions. Loin de moi l'idée de glorifier le passé, il n'y a pas à mon sens de mieux, ou de moins bien. Il y a juste des moments différents. Et ce moment, il était sacrément cool.
Les quelques mots écrits sur la jaquette du DVD représentent d'ailleurs étrangement ma pensée (merci à Florian de les avoir écrits). J'ai intentionnellement masqué la dernière phrase pour la remettre au goût jour:
"A l'heure ou tout le monde se branle sur MySpace Bandcamp et Facebook, c'est un groupe qui va terriblement me manquer qui me manque terriblement".
Qui me manque terriblement ... comme tout un tas de groupes que le label 213 records" à produit dans les années 2000, entre autres (c'est parti pour le "name dropping") : Gantz
, Criatura
, Eyston
, Strong As Ten
(Je te conseille d'ailleurs le split The Appolo program/Short supply qui reste un bon vieux classique et qui n'a pas pris une ride). Bref un chouette label (tenu d'ailleur par des membres de Shallnotkill
, Julien et Christelle), qui continue à nous gâter depuis tant d'années (maintenant dans des styles un peu différents, je te laisse aller voir par toi même). 213 records.
Bien sûr, il y a eu un après Shallnotkill
et si tu trouves ça bien, tu peux aussi suivre et écouter tout un tas de groupes dans lesquels les membres de Shallnotkill
ont joué. Une liste non exhaustive, je dois forcément louper des trucs:
- Meny Hellkin
- Aleska (hésite pas à leur donner des sous pour le nouvel album)
- The Austrasian Goat
- Le coeur noir (saigne rouge)
- Bras mort
- YSREL
- Avale
Leurs Bandcamp respectifs, ci-dessous:
Je vous fais confiance pour redonner à Shallnotkill
ses "lettres de noblesse" et que le groupe puisse enfin avoir la reconnaissance qu'il mériterait. Oui. Shallnotkill
ça bute. Tu peux bien sûr me contacter si tu veux je t'envoie les sons en mp3. Tout n'est pas trouvable facilement. Sur ce, bonne écoute.
Enfin (et aussi parce que je l'ai retrouvé au dernier moment), je vous laisse un lien ci-dessous pour télécharger le dernier live de Shallnotkill
joué à Reims le 24 juin 2006, déjà 13 ans. Je connais un petit chanceux qui y était, et pour le coup, je trouve que ce live retranscrit bien l'émotion que peut amener Shallnotkill
. Shallnotkill - RIP Live 2006
Shallnotkill
c'est fini depuis 13 ans, quels souvenirs gardez de vous de cette époque ? Comment avez-vous perçu l'évolution des choses depuis de ce temps-là ? J'avoue que je suis souvent nostalgique, éprouvez-vous aussi ce sentiment ?
Julien: J'en garde d'excellents souvenirs. Ce groupe m'a permis de belles rencontres, de m'ouvrir sur le monde. Je ne suis pas nostalgique. La nostalgie m'effraie. J'essaie de m'en préserver et de me focaliser sur le présent. Mais je m'appuie pour ça sur le passé et SHALLNOTKILL
fût une expérience fondamentale pour moi et fondatrice à bien des égards. Force est d'admettre que les temps changent. Et c'est ce qui rend l'existence intéressante. Depuis, j'ai vieilli. Avec tout ce que cela implique.
On peut voir que vous avez tous suivi des chemins assez différents musicalement, surtout en termes de style. Avez-vous essayé de suivre les "styles" avec les années (Il n'y a plus de masses de groupes qui jouent dans le style de Shallnotkill
aujourd'hui ..), ou est-ce des choix très personnels, des questions de goûts, de rencontres ?
Julien: Effectivement. Je crois que la question du "style" se posait pour nous. On était des métalleux, des enfants des années 80. On s'est ensuite pris le grunge et le néo-metal dans la tronche. Et puis il y a eu BOTCH
. Un vrai choc pour nous tous. Ca a reconditionné notre rapport à la musique, au delà du style.
On a découvert, une scène DIY, des gens, des préoccupations. Ca nous a amené à avoir un regard plus critique sur la musique et notre monde.
Dès lors, SHALLNOTKILL
s'est plutôt imposé comme un creuset où nous mettions nos gouts communs avec un fonctionnement démocratique.
Je me souviens que ce qui faisait l'unanimité musicalement du temps où l'on jouait, cétait BOTCH
, EYEHATEGOD
, BLACK SABBATH
, les premiers disques de ENVY
, THE DILLINGER ESCAPE PLAN
et JR EWING
.
Et puis les groupes qu'on cotoyait: DEAD FOR A MINUTE
, SUBMERGE
, GANTZ
... Tout celà nous nourrissait. C'était à l'aube d'Internet.
Les groupes avaient souvent une petite distro et on s'échangeait des disques et des fanzines sur les concerts, des conseils et avis... Il n'était pas question QUE de musique.
On s'inscrivait avec SHALLNOTKILL
dans la scène DIY de l'époque parce que c'était les gens qu'on cotoyait, notre réseau relationnel, mais on avait bien conscience d'être un peu marginaux en terme de "style" :
trop émo pour les métalleux, trop métal pour les punks...
Je dois avouer que depuis, je n'écoute plus vraiment de metal ou de punk-hardcore, trop "formatés" et codifiés à mon gôut.
Je remets parfois quelques madeleines de Proust sur la platine et jette parfois une oreille aux groupes des copains, par curiosité.
Je ne pense plus du tout mon activité musicale en terme de "style". J'ai parfois participé à des projets musicaux qui répondaient à des "exercices de style", mais c'est vite ennuyeux.
Que devient 213records
? On peut voir aussi de ce côté-là que ce que vous produisez aujourd'hui est vraiment totalement différent d'hier. Pour être honnête je croyais même que le label avait disparu pendant un temps. Gardez-vous cette démarche DIY, continuez-vous à produire les groupes des copains, de la scène locale (Metz) ?
Julien: 213 va sortir son 50eme vinyl. Les raisons qui nous ont poussé à produire des disques et à avoir une distro ne sont plus valables aujourd'hui.
On peut évoquer la "faute" à Internet, mais ca serait réduire l'équation à un seul facteur. Et ils sont multiples.
Je n'ai plus les mêmes gouts, la même énergie et les même aspirations qu'il y a 15 ans.
Et on a toujours été guidé par nos goûts. L'essentiel de ce qu'on a sorti, c'est des disques de potes. On a peu de regrets.
L'image a pris beaucoup d'importance. Trop à mes yeux. Un label se doit d'avoir une identité.
Et force et d'admettre qu'on en a pas : on a sorti des choses vraiments très variées, sans ancrage local.
Il reste 3 volumes de la série "synesthetic alchemy" - dédiée aux musiques "libres" et plus ou moins improvisées - à sortir et l'on mettra le label en stand-by.
Si vous deviez garder une seule chanson de Shallnotkill
laquelle ça serait ? Et surtout pourquoi ? Je me dis qu'avec le temps qui passe on doit être plus capable de répondre à cette question. Vous avez dû avoir le temps de bien "digérer" votre musique.
Julien: C'est une question difficile. Parce que je ne réécoute pas mes disques, où très rarement et avec difficulté.
J'ai une tendresse particulière pour "le sens de la vie", parce que c'était un projet intéressant et qu'on y a tous mis du notre.
Mais cette remarque est valable pour presque tout ce qu'on a fait. Et c'est ce qui me fait plaisir justement en repensant cette époque. On était passionnés.
Ce qui me manque, ce sont ces moments que nous vivions et de partager des expériences nouvelles ensemble.
On a choisi de mettre un terme à l'aventure avant que la passion ne s'étiole.