Ça s'est passé très simplement. À cette période je commençais déjà à penser au blog et cette idée d'écrire sur ShallNotKill. Ça remonte un petit peu. C'est à ce moment-là que j'ai découvert Aleska, par leur premier album sorti en 2016. Je l'ai mis une fois sur bandcamp, ça m'a suffi, j'ai tout de suite compris que ce groupe allait être spécial pour moi (je te conseille le dernier Hundreds of AU dans le même genre). Ce genre de sensation arrive rarement, je suis plutôt du genre à digérer lentement les albums mais de temps en temps je n'en ai pas besoin. J'aime de façon instantanée. Ayant été un peu à la bourre sur les sorties musicales ces dernières années, je me suis dit que tout le monde avait déjà probablement poncé cet album comme il se doit. Alors je me suis mis à en parler autour de moi. Déjà que le Screamo n'a pas le vent en poupe, mais là tous le monde me regardait avec des yeux ébahis en se demandant de quoi je pouvais bien parler. Quand je dis "tout le monde" tout est relatif, je n'ai pas non plus un cercle d'amis extrêmement développé. Alors j'ai eu cette nouvelle sensation, un peu (beaucoup) égoïste de me dire qu'Aleska resterai dans mon jardin secret. Je ne sais pas si vous voyez ce genre de groupe pour lesquels vous avez l'impression d'être l'ultime fan et que tous ceux qui vous entourent sont des ignorants. Alors vous le gardez jalousement pour vous. Et bien pour moi Aleska c'est ça.

La grande question qui se pose dans ce genre de cas est "pourquoi ?", pourquoi Aleska n'a pas -à mon sens- la reconnaissance qu'il mérite, à vrai dire, je n'en sais rien et je m'en fiche complètement. Ce que je sais c'est qu'ils font de la bonne musique. De la musique qui me touche. De la musique sincère. Dans un style quand même très original. Comme je le dis souvent je ne suis pas très bien placé pour parler de musique, mais si je devais dire quelque chose sur Aleska c'est bien que ce groupe est à la croisée des chemins. Entre le Post-Hardcore (je trouve des passages à la Isis, par exemple sur Détruire) avec de grandes phases mélancoliques et instrumentales, et le Screamo avec des passages très brutes et hurlés (sur Vanité illusoire par exemple). Parfois (Nicolas il me semble) ne crie plus et passe au chant clair. J'en entends déjà hurler à la mort, mais je trouve ces moments très poétiques (certains moments me rappellent l'album Mappo de Sed Non Satiata). Si je parle ici surtout de Construire ou détruire il faut bien constater qu'Aleska a pas mal évolué en passant selon moi d'un Screamo assez brut à un mix entre Screamo, Post-Hardcore ou encore carrément Metal. J'ose croire que leur nom Aleska vient du titre du même nom de June Paik identifiant clairement les racines et l'inspiration qu'a pu avoir le groupe à un moment de leur existence. (Si je me trompe corrige-moi).

Aleska (Itawak fest)
Aleska - Du gris au noir

Impatient d'en découdre
Il n'est jamais trop tard pour se battre
Il n'est jamais trop tard pour s'enfuir
Impatient d'échapper
A cette triste réalité qui me donne envie de gerber
Impatient d'en finir
Du gris au noir...
Mer sombre, dis moi pourquoi je sombre
Mère sombre, dis moi pourquoi je sombre
Un renégat, un écorché qui a perdu l'espoir d'exister
Alors que faire quand tout semble perdu ?
Il ne reste qu'à peindre du gris au noir
Seul face à ses propres codes
Seul face au désarroi
Seul face à terre
Seul dans cette galère
Alors, que faire si on ne peut plus compter sur personne ni soi même ?
Il faut peindre du gris au noir...

J'aime beaucoup disséquer les paroles des groupes et je ne me suis pas gêné sur Aleska et ça tombe bien car ils ont plein de choses à dire. Loin d'être politiques leurs textes dans l'ensemble assez poétiques restent tout de même teintés d'un message, et on sent bien que les personnes les ayant écrit se basent sur leurs propres expériences, leurs vécus, leurs tristesses, leurs frustrations, leurs peurs. Un exemple très flagrant ce que je dis ici pourrait être le titre Du gris au noir. "À cette triste réalité qui me donne envie de gerber", "Alors que faire quand tout semble perdu ?", "Seul face à ses propres codes", "Alors que faire si on ne peut plus compter sur personne ni soi-même", on ressent bien dans ces quatre phrases de ce titre un questionnement sur soi-même et sur le monde qui nous entoure. Même le titre Du gris au noir, donne ici le tempo au niveau des paroles, tout dans Aleska reste très sombre. Il ne reste qu'une échappatoire passer du gris au noir tout en nous faisant comprendre ... qu'il n'y a pas de blanc. Je ne saurais pas vraiment non plus analyser De la cime au cimetière, mais j'ose penser qu'il est question ici de représentativité des êtres, à savoir : perdre son temps à vouloir être quelque chose, ou quelqu'un pour un style, une image, un paraître qui pourra nous emmener au sommet quitte à déjà mettre un pied dans la tombe. Et cette phrase est criante de vérité dans le monde d'aujourd'hui: "A trop chercher sa place, on se perd entre la cime et le cimetière". Une sorte de leçon d'humilité que chacun devrait écouter ou comprendre à sa manière. Aleska c'est aussi ça, leurs paroles nous laissent dans le doute, l'incertitude et l'on sent sincèrement qu'à travers ces textes très imagés il y a de réelles revendications, des revendications à aspirer à quelque chose meilleur, de plus simple, de plus vrai: "Le coeur comme unique vérité" (Combler le vide). La dernière lueur longue fable qui oscille entre douceur et fureur illustre extrêmement bien ce propos, un extrait ci-dessous des paroles:

Et si jamais j'en ai la chance, je continuerai seul
Sans plus jamais m'appuyer sur vos piliers instables
Guettant sans cesse cet horizon qu'une nouvelle lueur voudra bien éclairer
Et si jamais ce monde renaît, je continuerai seul
Sans plus jamais oublier de ne plus croire en vos fables
Guettant sans cesse cet horizon qu'une nouvelle lueur voudra bien éclairer
Et si jamais je me relève, je continuerai seul
Sans plus jamais pardonner ceux qui m'ont fait tomber
Guettant sans esse cet horizon qu'une nouvelle lueur voudra bien éclairer

Cette forme de rancoeur, de nostalgie, de perte d'espoir me touche énormément, car je ressens souvent des choses similaires, bien évidemment au centre de la scène punk qui parfois peut être sans pitié. Ce titre qui me fait frissonner laisse néanmoins pointer une touche d'espoir. Gardons encore dans nos coeurs l'idée d'un "nouvel horizon", d'une "nouvelle lueur", qui inspirera un monde meilleur, plus juste, plus sincère.

Aleska semble également vouloir garder une autonomie profonde par rapport à leur musique. Certains vont encore hurler mais leur dernier album a été produit sur la base d'un financement participatif sur une plateforme dédiée à cela. Quand j'ai découvert l'album éponyme de 2016, je l'ai vite acheté en physique me disant qu'il ne restait que quelques copies. J'ai tout de suite compris à ce moment là que les personnes qui composaient Aleska étaient de chouettes gens. Leur réponse suite à mon achat a été super touchante et encourageante, ils avaient juste l'air d'être contents que quelqu'un achète leur disque: "Un énorme merci pour ta commande et ton soutien!". Ça me rappelle cette époque révolue ou ce qu'on achetait par les distros était toujours accompagné d'un petit mot, d'un petit remerciement, d'une phrase sympa. On avait l'impression d'être proche des groupes. Tout ça pour dire que leur dernier album "Construire ou détruire" est entièrement autoproduit (apparemment aucun label n'ayant voulu participer à la sortie). Logiquement on ne trouve donc aucun logo de label sur la pochette. Le mastering et le pressage des disques ont été en intégralité pris en charge par le groupe, ce qui leur procure également une forme d'indépendance dans le choix de tout un tas de choses (les paroles, le style, le graphisme, etc). J'ai trouvé leur démarche assez touchante. "Si personne ne veut nous aider, et bien on va le faire tout seuls". J'ai forcément par la suite participé à ce disque (via la campagne) à la hauteur de mes moyens.

Aleska - Construire

Construire, déconstruire, reconstruire, détruire.
Construire pour vivre.
Déconstruire, avancer.
Reconstruire, espérer.
Détruire puis oublier.
Myriade d'étoiles, beauté du spectacle, percevoir une lueur pouvant teindre > les abîmes déjà naissants.
Eclairant les chemins qui nous mènent au néant.
Symbole d'un éspoir qui nous maintient vivants.
Construire pour définir, définir pour tenter.
Tenter de ne pas sombrer.
Construire pour dire "je".
Construire pour voir le "nous".
Déplorer dans la froideur des regards l'adversisté des bien-pensants.
Tu verras le néant à travers mes yeux et moi l'infini à travers les tiens.
Le rien est le tout, seul l'amour nous sauvera.
Destinée qui nous allie, qui nous unit tant qu'elle ne nous aliène point.
Le seul miracle sera d'être deux à travers les limbes de l'indéfini.
Pour les autres tu n'est qu'une image, pour moi tu seras un icône.
Construire pour se sentir exister, pierre après pierre, jour après jour, continuer à espérer, pouvoir atteindre une apogée toujours plus haut.
Reconstruire ou détruire, puis recommencer, construire pour continuer à espérer.

Comme on prévoit toujours les choses à la dernière minute nous sommes allés faire un petit tour à Strasbourg à l'Itawak fest, j'avoue principalement m'être laissé charmer par la présence d'Aleska et de Jeanne. Bizarrement pour moi, Aleska a joué en premier (quasiment il y avait un ciné concert avant). A part un ou deux petits pains à la batterie (mais qui n'en fait jamais), leur set était top, et j'ai vraiment pris beaucoup beaucoup de plaisir à les découvrir en live. La meilleure prestation de ce Samedi soir à mon sens (mais je ne suis pas objectif je sais, je connaissais tous les titres)

J'avais contacté un des membres du groupe en amont pour qu'il me ramène les disques et les t-shirts (commandés via la campagne participative). Ce fut pour moi l'occasion de rencontrer le quatuor pour de vrai. Je suis toujours stressé et en même temps excité par cette idée-là. Tout s'est passé pour le mieux, des personnes très humaines et bien sympas, même si nous n'avons pas trop eu le temps de discuter dans les détails, les rencontrer m'a fait super plaisir. D'autant plus que j'essayais tant bien que mal de les ajouter à une date sur Paris pour qu'ils puissent enfin se présenter correctement à toute la scène Parisienne. On a un peu galéré mais on a fini par trouver un terrain d'entente. Une belle date à venir pour la rentrée, le 14 Septembre 2019, avec leurs copains de No Vale Nada. J'espère que l'essai sera transformé et que nos amis Parisiens se pointerons nombreux à ce concert. Car oui Aleska, c'est un groupe énorme, qui va vous faire ressentir diverses choses. Je ne sais pas si ce maigre article pourra encourager certains à venir. Mais qu'on soit deux ou cent, pour ma part le plaisir sera le même. Je trépigne comme un enfant. Et peu importe la hype ce concert sera j'en suis sûr une réussite. N'ayez pas de doutes venez et n'oubliez pas qu'a trop chercher votre place vous pourriez vous perdre entre la cime et le cimetière.

Aleska - Vanité Illusoire

Vanité illusoire, la supériorité est une valeur innée, un langage qu'il aurait fallu décrypter. L'intégrité n'est qu'un concept qui ne ravit que ses propres adeptes.
La modestie est une plaie cachée qu'on ne saurait exhiber. La loyauté est un vestige, un vieux précepte. La vanité trône au panthéon des vices les mieux acceptés.
Ou comment l'honnêteté a sombré avec l'espoir. Pour toi et moi, tout semble illusoire au milieu de ce vide glacé.

Aleska (Itwak fest)

Je clôture comme à mon habitude cet article par une micro interview d'Aleska. Un énorme merci à eux d'avoir pris le temps de répondre.

Salut Aleska comment expliquez-vous le fait que les labels n'aient pas voulu produire votre disque ? Le choix de la campagne participative a-t-il été un choix délibéré ou contraint par le manque de labels ? Comment expliquez-vous votre relative discrétion par rapport à cette scène. J'entends par là que j'ai parfois l'impression que vous êtes un groupe oublié …

Mike: Il est clair qu’idéalement nous aurions aimé trouver un ou plusieurs labels pour participer à ce projet. Nous en avons contacté un nombre assez important malheureusement sans succès… Dans la mesure où nous sommes un groupe avec des moyens financiers plutôt limités, il ne nous était pas possible de prendre en charge le pressage des vinyles…C’était donc soit on annulait tout et on jetait tout ce que nous avions déjà investi en temps et en argent, soit on retardait d’encore plusieurs mois la sortie de l’album en attendant qu’on ait les fonds nécessaires, soit on recourait à ce système de précommandes. Le choix s’est donc vite imposé à nous. Nous souhaitons d’ailleurs une nouvelle fois remercier tous ceux qui ont participé à cette campagne de financement et nous on permis d’aller au bout de notre projet. Je constate d’ailleurs que de plus en plus de groupes adoptent ce mode de financement et que cela va certainement être amené à se développer de plus en plus, en raison notamment du manque de moyens des labels dans cette scène. Avec le recul je trouve ce mode de fonctionnement pas mal du tout car cela laisse une totale liberté au groupe dans la gestion artistique de son projet, et qu’il n’y a pas besoin de discuter avec les labels du format ou support à choisir pour la sortie ou des couleurs des t-shirts !
Concernant le fait que l’on soit un groupe un peu «oublié» comme tu dis, il est clair que si tu veux que l’on parle de ton groupe, que l’on te propose des tas de concerts, il ne suffit pas de faire de la bonne musique, il y a aussi tout un travail de communication à faire et de réseau à créer. C’est d’ailleurs peut-être la phase qui demande le plus grand investissement en temps à un groupe car, en plus des répètes et des enregistrements, il faut passer pas mal de temps dans les concerts et sur les réseaux sociaux. Compte tenu de nos vies respectives assez chargées, on n’a jamais eu vraiment le temps de se consacrer à cette étape, ce qui fait que l’on manque certainement un peu de visibilité dans la scène. Mais grâce à ton interview ça va changer !

Adri: Il n’y a pas à proprement parler une raison pour laquelle on a décidé de produire le disque de cette manière mais une multitude. Par rapport, aux labels il y a soit un manque d’intérêt pour notre musique, de temps et d’argent ou aussi tout simplement qu’on a pas contacté les bons. De manière générale, ils ne répondent pas si tu tournes pas assez ou si tu n’es pas ultra engagé dans la scène.
La campagne est un choix délibéré, j’avais proposé aux autres et on a pas mal hésité vu que c’est carrément mal vu dans la scène jusqu’au moment où on s’est dit fuck off, on veut sortir ce disque ! Depuis, pas mal de potes s’y sont mis donc bon si ça permet à un disque de vivre et que par continuité ça nous fait jouer, ça peut que faire bouger la scène et c’est vertueux.
D’un autre côté, ça ne nous empêche en rien d’acheter des vinyles dans des distros et d’aider les indés comme on peut.
Quant à la discrétion, on en sait trop rien c’est un mélange de tous les points cités au-dessus, personnellement, je sais qu’on aimerait bien avoir plus de visibilité/opportunité etc etc... Il aura fallu 8 ans pour qu’on nous propose une date sur Paris par exemple et c’est trop cool de pouvoir enfin venir !

Nico: Les labels qui ont bien voulu prendre le temps de nous répondre nous ont plus ou moins donné la même explication : déjà plusieurs sorties programmées et plus de budget pour pouvoir accompagner notre nouvel album à venir. Personnellement, je ne souhaitais même pas faire ce démarchage et je ne m’attendais de toute façon pas à grand chose comme retour de leur part, ce qui a été le cas ! Le fait de lancer un financement participatif qui ferait office de précommandes était déjà prévu avant de les contacter et ça n’a pas été une conséquence du manque de labels. Pour expliquer très facilement notre discrétion par rapport à cette scène, il y a une question à se poser : qu’est devenue la scène screamo de nos jours ? De mon point de vue, cette scène place la musique loin derrière l’idéologie et c’est ce qui nous met à l’écart. Nous, on est là avant tout et uniquement pour faire de la musique ! Et quand on parle avec les gens qui viennent nous voir, on parle avant tout de musique et d’émotions ce qui devrait toujours être la priorité selon moi quand on définit une «scène». A côté de ça, il y a aussi un gros travail à faire sur les réseaux sociaux comme l’a dit Mike, et c’est vrai que ce n’est pas toujours facile de pouvoir tout gérer en même temps. Et c’est d’autant plus compliqué quand on doit travailler en même temps sur la sortie d’un nouvel album en auto production.

Si je ne me trompe pas Aleska s'est construit avec des membres de ShallNotKill Dead for a minute et Esteban. Comment vous êtes vous rencontrés, dans quel contexte, et surtout pourquoi avez-vous choisi ensemble de faire ce type de musique à un moment ou le Screamo ne marche plus vraiment (les trois groupes cités plus haut ont quand même à mon sens assez peu d'éléments communs avec Aleska) ?

Mike: Je connais Vince depuis près de 20 ans. A l’époque nous faisions pas mal de concerts et tournées ensemble avec nos groupes respectifs puis nous nous sommes retrouvés quelques années plus tard à jouer ensemble dans Esteban. A la fin d’Esteban j’ai totalement arrêté la musique pendant un an puis Vince m’a appelé pour me dire qu’il avait remonté un projet avec de super zicos et qu’ils auraient éventuellement besoin d’un vieux bassiste tout rouillé !
Concernant notre style musical, on ne s’est jamais vraiment préoccupé du style que l’on souhaiterait faire ou que l’on devrait faire pour être à la mode. Pour nous la musique doit être sincère et instinctive. Cela se ressent surtout dans notre façon de composer qui est principalement basée sur l’improvisation à partir d’un riff de gratte ou d’une rythmique… En fait, nous sommes quatre zicos avec des goûts et influences totalement différents et la musique d’Aleska n’est que le résultat, plus ou moins bien réussi 😊, de ce mélange !

Adri: Nico et moi écoutons du emo/screamo et tout ce qui touche à cette scène depuis les années 2000, on avait un groupe ensemble à cette époque et on connaissait de nom Dead for a minute et ShallNotKill. On essayait de se rapprocher de ce genre musical mais on ne jouait pas avec les bonnes personnes, à ce moment là, on faisait plus de l’emocore à la Thursday ou New Ruins de the Kidcrash. C’est quand, on a vu Esteban en 2007 ou 2008 avec Kidcrash justement qu’on s’est dit “et si on demandait à Vince s’il serait chaud pour jouer avec nous (il avait le jeu parfait pour ce style musical)” ? Il nous a dit qu’il n’était pas intéressé puisqu’il avait déjà un groupe de screamo. Avec Nico, on a continué notre chemin jusqu’à ce qu’on lui redemande en 2011 à la fin d’Esteban et ce vieux faisan était d’accord. On était 6 dans le groupe au début et c’est quand Mike s’est ramené qu’on a bloqué le line up (qui est toujours le même depuis).
On n’a pas vraiment choisi de faire ce style, ça s’est fait naturellement, on avait pas mal de groupes en commun (Envy, Botch, At the drive in, The get up kids, Mono, City of caterpillar,, Neil perry, Raein, Orchid,, Saetia, Gantz, Amanda woodward, Daïtro etc etc) mais les autres avaient l’expérience et écoutaient des groupes un peu plus old school tandis que nous on avait tendance à suivre ce qui se passait à ce moment là (Suis la lune, Age sixteen, I create, Grown up, Algernon cadwallader, Birds in row, et des trucs plus récents comme Cassus, Shirokuma, State faults, Shin guard etc etc.)

Nico: Pour ce qui est de notre rencontre, je pense qu’Adri à très bien tout résumer ci dessus. Pour notre musique, il n’y a pas un seul instant où on s’est imposé une barrière dans la composition. On ne s’est jamais dit qu’on voulait faire du screamo ou du post rock ou du post hardcore. On privilégie vraiment ce qui vient sur le moment et ce qui nous plaît. Peu importe ce qui marche ou ce qui est à la mode sur le moment, ce n’est absolument pas ce qui guidera ou influencera notre musique.

Le groupe ayant été bâti avec des membres d'anciens groupes (relativement connus à l'époque), je pense imaginer que vous avez dû trainer depuis quelques années aux concerts. D'où ma sempiternelle question: pouvez-vous me donner votre avis sur l'évolution de la "scène", d'un point de vue par exemple politique ou médiatique (ou tout autre). Pensez-vous que les réseaux sociaux et l'avènement des moyens de communication aient considérablement changé la donne dans la musique D.I.Y ? Pensez-vous qu'il est possible qu'il y ait un choc générationel? (je pose cette question car j'ai moi-même souvent un sentiment fort de nostalgie par rapport au passé)

Mike: Pour parler simplement du dynamisme de la scène, sans aller dans le politique ou l’analyse sociologique, je laisse ça à Nico et Adri 😊, en tant que «vieux» du groupe j’ai eu la chance de connaître l’âge d’or de cette scène où il y avait énormément de concerts, plein de super groupes à aller voir toutes les semaines. A cette époque, en tant que groupe, tout semblait plus facile, il y avait plus d’endroits où jouer, plus de labels, les gens se déplaçaient plus nombreux aux concerts, il y avait une super dynamique… Il est clair qu’aujourd’hui on ressent beaucoup moins toute cette énergie et cet engouement et que c’est même parfois décourageant en tant que groupe de devoir consentir autant d’efforts pour finalement se rendre compte que les gens ne se sentent finalement pas concernés par cette scène. Voilà, j’ai fait mon vieux rabat-joie nostalgique, mais fort heureusement il y a toujours des gens investis et motivés dans la scène qui essayent de faire bouger les choses.

Adri: On a vu pas mal de concerts sur de nombreuses années et j’avoue que c’est une question assez difficile vu que la réponse que je peux donner ne fait qu’évoluer avec le temps. De manière générale, les idées et l’idéologie restent les mêmes. Il y aura toujours des personnes dévouées aux idées/concepts DIY dans une ligne politique antifa même si j’ai l’impression que cette étiquette est moins visible, je ne dis pas que les gens sont moins politisés mais qu’ils ont tendance à rejeter un peu plus la politique “classique” justement. Ce qui est paradoxal pour une scène où tous comptent les uns sur les autres.
Du moins, j’ai l’impression qu’il y a un plus fort individualisme qu’avant ce qui parfois accentue une forme d’élitisme. Par exemple, il est bien plus difficile de faire le premier pas et de rencontrer des personnes aux concerts. Je pense qu’on est un peu trop à l’arrache et qu’on se méfie de nous ou qu’on nous ignore par rapport au fait qu’on ne joue pas assez le jeu de l’identification. Depuis l’avènement des réseaux sociaux tous ces éléments se sont accentués et je trouve qu’il y a trop de critères et de codes où du moins que la scène est plus fermée. C’était plus simple avant qu’aujourd’hui, tu peux avoir des groupes en commun, une passion pour ce genre et ce qu’il raconte mais t’es plus facilement “blacklisté” si tu n’épouses pas l’ensemble idéologique de la scène. Dans le groupe, personne n’est vegan et ce n’est pas pour autant qu’on ne respecte pas ces idées, au contraire, on trouve ça super important mais c’est déjà arrivé qu’on nous refuse des dates à cause de ça ou parce que Vince est passionné de photographie et qu’il fait des photos qui ne plaisent pas à tout le monde. C’est un peu dommage dans le sens où c’est déjà une scène de niche surtout qu’il y a un regain d’intérêt en ce moment pas comme la première moitié des années 2010 où là ç’était plus mort. Néanmoins, cela reste mineur et 90% des personnes qu’on a pu rencontrer sont géniaux passionnés et beaucoup d’entres eux sont devenus des super potes.

Nico: Les réseaux sociaux et de culte de l’image ont clairement changé la donne. A l’époque, les gens que l’on pouvait rencontrer et avec qui on discutait étaient clairement présent parce que ça avait de l’importance pour eux et parce qu’ils étaient réellement engagés dans cette scène. Aujourd’hui, je trouve qu’il est très difficile de rencontrer des personnes comme ça car tu as affaire à tout un tas de personnes présentes uniquement pour l’image. A l’époque, dès qu’il y avait un concert, tout le monde se bougeait et était fier de pouvoir soutenir la scène locale peu importe le style de musique qui pouvait y passer et peu importe que ce soit un groupe connu ou pas. Aujourd’hui, soit les gens ne se déplacent pas, soit la bonne partie de ceux qui se déplacent ne sont pas là pour la musique mais uniquement pour pouvoir se prendre en photo et mettre ça en ligne. Et encore une fois, comme je le disais plus haut, la musique arrive bien derrière tout ça… Heureusement, il y a de belles rencontres et toujours de vrais passionnés mais qui sont souvent des personnes un peu plus âgées et qui ont connu la scène à l’époque de son « âge d’or » si on peut dire. Il y a tout de mêmes des exceptions mais elles restent rares. J’ai quand même l’impression et l’espoir que l’on retombe dans une époque de partage, d’écoute et d’émotions avant de penser à l’idéologie. A voir comment ça va évoluer dans les années à venir!

Je trouve vos paroles très sombres, je dirais même très tristes, je ressens réellement beaucoup de tristesse dans vos titres. Est-ce un exercice de style? Ou êtes-vous réellement habité par ce sentiment, pensez-vous malgré vous être nihiliste et ne pas croire en un avenir meilleur et plus juste pour l'humanité. ("Devant vos regards plein de tristesse : plus de lumière, plus de vie, plus d'espoir") ?

Adri: C’est une bonne question. Premièrement, ce n’est pas un exercice de style, même si la façon d’écrire les textes pourrait paraître confuse. J’ai généralement écrit les textes et Nico proposait sa vision et son ressenti. Plus récemment, il est venu avec des textes complets mais je pense qu’on écrit de la même manière. Il y a une accroche avec une phrase forte et après on déroule le fil presque en écriture automatique, le plus chaud c’est de rester fidèle à ce qu’on veut dire et à ce qu’on ressent. Pour le côté nihiliste des textes, il est authentique et vient à la fois de ce qu’on peut voir tous les jours mais surtout de l’endroit où on vit je pense. Le Nord Est de la Lorraine où nous habitons est une zone sinistrée, désindustrialisée, où tout est gris, tout est plat. Il n’y pas grand chose à faire, le taf est rare et trouver une raison de s’y plaire reste compliqué. Pour autant, c’est chez nous et on s’y sent attaché malgré tout. On a nos familles, nos potes et on veut faire en sorte d’apporter quelque chose, aussi futile soit cette chose.

Nico: Ce n’est effectivement pas un exercice de style. On ne va pas forcément s’imposer quoi que ce soit et on prend ce qui sort sur le moment. Personnellement, les seules fois où j’ai voulu m’imposer un thème, il m’a été impossible d’écrire quelque chose qui m’a satisfait. Notre musique est assez sombre aussi et comme j’écrit mes textes une fois que musique est terminée, ils suivent ce que je ressens en écoutant les compositions. Je ne suis pas nihiliste et je pense personnellement qu’on nous maintient dans un climat de stress et d’angoisse permanent. Quoi de plus facile que de manipuler quelqu’un qui doute et qui a peur? Mon point de vue c’est qu’on peut toujours faire bouger les choses et se donner les moyens d’atteindre ses objectifs donc je serais plutôt même du genre optimiste! Et pour citer le même texte que tu as utilisé pour illustrer ta question et appuyer ce que je viens de dire : « Et si jamais je me relève, je continuerai seul. Sans plus jamais pardonner ceux qui m’ont fait tomber. Guettant sans cesse cet horizon qu’une nouvelle lueur voudra bien éclairer ».