Je me souviens parfaitement ma première rencontre avec Fabien. C'était devant le Gibus à Paris. Je ne sais plus par quel biais il m'a été présenté, mais nous nous sommes retrouvés à sa table avec une bière à la main (en tout cas pour moi). Ce dont je me souviens également c'est qu'il nous a filé gracieusement deux places pour le concert. Cette rencontre est d'autant plus étrange que je suis aujourd'hui incapable de dire les groupes qui avaient joué ce soir-là. Par contre, cette courte conversation, je saurais vous en donner les détails. On a commencé à parler de EUX, ce "nouveau projet screamo" de Paris. Naïvement je pensais que le style était définitivement mort en France et encore plus à Paris. Et ce soir-là, je me retrouve à boire une bière avec quelqu'un qui me dit : "J'ai toujours rêvé de faire un groupe à la Mihaï Edrisch ou à la Daïtro" (je ne lui ai pas dit à ce moment-là, mais j'avais très envie de lui dire "Enfin !"). De fil en aiguille il m'apprend que leur premier opus est enfin prêt et qu'ils vont essayer le plus tôt possible de le défendre sur scène. Depuis ce jour-là je les ai vus au moins quatre fois, et on peut dire que le groupe a pris de la bouteille par rapport à ses débuts.

Je dois avouer avoir vu EUX avant d'avoir réellement écouté Et les autres (titre de leur première galette). Je n'avais pas été super convaincu, peut-être que j'étais dans une mauvaise passe, ou que la salle n'était pas adaptée, mais j'avais trouvé ça un peu brouillon on pouvait clairement sentir le stress débuts malgrè un talent certain. Pareil la seconde fois. Il m'aura fallu attendre la troisième pour me prendre une baffe (mais alors une grosse baffe). Lorsqu'ils ont joué en première partie de Crowning et Swallow's nest. Ce jour-là fu le bon pour moi. Et comme je ne suis toujours pas doué pour parler de musique, je parlerais de l'ambiance. Tout le monde était ce soir-là scotché devant leur prestation. Probablement quoi qu'on en dise le meilleur "set" de la soirée et pour moi, une révélation. J'avais boudé leur vinyle lors des deux précédents live, je n'ai pas résisté cette fois-ci. Depuis ce live, leur disque a pour moi pris énormément d'ampleur. Il a des choses comme ça auxquelles on ne s'attend pas.

Etant à l'origine un duo (Jérôme guitariste de EUX s'occupait également de la basse à l'origine du groupe) EUX s'est transformé en un trio avec l'arrivée de Flow (Miles Oliver / Le Dead Projet) qui a repris le flambeau à Jérôme pour s'occuper de la basse. Et je me souviens également de ma première rencontre avec lui. Il jouait aux boules, avec un verre (de pastis ?) à la main. Vous voyez le genre de tableau ;-) . Tout ça pour dire (je sais ça n'a rien à voir) que son arrivée dans le groupe a -à mon sens- permis de fluidifier les concerts du groupe. Et sous cette forme, ça défonce encore plus.

J'ai profité de cette période de confinement pour faire une micro interview du groupe. Non seulement parce que ce sont des crèmes (chacun dans leur style, mais je peux vous assurer qu'ils sont de ceux à ne jamais refuser de te rendre un service) mais également parce qu'ils font de la sacrée bonne musique et qu'à mon sens trop peu de gens (de mon entourage) ont profité pleinement de cette dernière. Ils se sont très gentiment prêtés à l'exercice. Merci à vous les copains ! J'en profite pour vous dire qu'ils ont récemment sorti un split avec un groupe américain nommé Ysidro (avec un membre de Beau Navire). Le titre présent sur ce split s'appelle The Shame et je vous laisse découvrir par vous-même de quoi il retourne (dans l'interview).

Salut EUX. Étant pour ma part un vieux fan de Screamo, je retrouve dans votre musique tout un tas d’influences de la scène française des années 20XX. Je pense en particulier à Daïtro et Mihai Edrisch :
Étant donné la « non-popularité » de ce style qu’est-ce qui vous a orienté vers ce type de musique, étiez-vous dans des projets avant la création de EUX (il me semble que Fabien jouait dans Bien à toi)

Fabien : En 2005, à 16 ans alors que j’ai dû affronter le deuil de mon grand frère, j’ai découvert «Laissez vivre les squelettes». La conjonction de ces deux évènements fut ma découverte du screamo / emo punk et orienterons mes choix musicaux, pour ne pas dire ma vie.
J’étais assez jeune et n’avais pas encore beaucoup d’expérience ni contact dans la musique, mais depuis cette époque je me suis promis d’avoir un jour une formation de ce type.
La vie a passé, diverses expériences musicales m’ont construit et plus de 10 ans après, certainement car j’étais enfin prêt, EUX s’est tout naturellement fait de lui-même.

Pensez-vous qu’un renouveau du Screamo est en train d’émerger en France. Je pense tout particulièrement à des groupes comme Aleska, les quelques copains Parisiens de Tenace et I am John Baudelaire, et à la scène Marseillaise (Yarostan, Seules les mortes)

Flow : Je pense qu’il y a eu un vide screamo au milieu dans les années 2010 , à la fin de groupes comme Daïtro, Sed Non Satiata (Fabien: et Mihai Edrisch !!) mais aussi Raein ou Suis La Lune. Mais très vite, une scène anglaise est apparue avec notamment le label Dog Knights. Il n’y a pas eu des centaines de groupes screamo en France non plus , mais il y a toujours eu des petites scènes bien vivantes notamment en Normandie, Bretagne, PACA, etc.. Le retour aux mélodies/émotions et paroles en français a encore de beaux jours devant lui.

Au vu de la teneur du projet on peut penser ou comprendre que l’histoire (et la sensibilité) de Fabien a joué un rôle particulier et primordial dans la composition et la musique du premier album. Fabien joue-t-il le ‘chef d’orchestre’ dans le projet ? Pour les autres membres du groupe, comment a-t-il été possible de s’insérer et de comprendre cet univers si particulier ?

Fabien : Difficile de répondre objectivement à la question du ‘chef d’orchestre’ pour ma part, et puis on était que 2 à l’époque, donc c’était 50/50 (même si Jérôme s’occupait exclusivement de composer les mélodies et moi tout le reste).
En vérité, rien de tout ça n’aurait existé sans la qualité des riffs de Jérôme, vraiment. La première chanson qu’on a composée (Florian) laissait entrevoir de réelles émotions. Les mélodies qui constituaient la seconde (Mathias) n’ont fait que confirmer la couleur que nous souhaitions donner à cet opus et m’offrirent un terrain de jeu idéal pour me libérer de mes pensées.
Depuis l’arrivée de Flow, ça n’a plus rien avoir, on est vraiment sur une parfaite équité, avec un très fort investissement de ce dernier tant sur le plan musical que les autres aspects d’un groupe.

Flow : Fabien m’a expliqué et m’a tout de suite fait ressentir ses paroles ainsi que les émotions de Jérôme à la guitare. Savoir faire peser les mots est quelque chose d’essentiel et que j’adore dans ce que fait Fabien. On réfléchit ensemble à laisser de la place pour la voix et bien l’accompagner selon les moments.

Chaque titre de l’album porte le nom de quelqu’un. J’imagine que ce n’est pas par hasard et que ce sont des gens qui ont compté/comptent pour toi/vous, pouvez-vous m’en dire plus à ce sujet ? Je peux imaginer que ce genre de question peut être douloureuse, vous pouvez bien sûr ne pas y répondre si vous le voulez !

Fabien : Ça n’est absolument pas douloureux, au contraire, c’est le message que je souhaite faire passer : il faut parler de ces choses. Premièrement pour extérioriser ces sujets encore considéré comme tabou (car selon moi c’est le meilleur moyen de les surmonter) et deuxièmement pour continuer de faire vivre ces personnes auprès de tous ceux qui écoutent.
Plus clairement, «Zoé» est ma fille (il était impassable de ne pas lui donner place) / «Florian» est un pote qui a tendance à partir au quart de tour / «Mathias» est le grand frère de Zoé, né-sans vie en 2016 / «Jérôme» est mon grand frère, mais peut aussi être notre guitariste / «Denis» est un ami cher dont j’ai appris la disparition lorsque nous composions.
Plus artistiquement, j’ai toujours aimé l’idée que l’ensemble des chansons qui constituent un disque soit un tout, et le fil conducteur des prénoms m’a semblé une bonne idée. Enfin, le nom «et les autres» n’est pas anodin : il fait référence à l’ensemble des autres personnes de nos vies, mais surtout à L’un sans l’autre (Mihiai Edrisch).

Pourquoi être passés de deux à trois musiciens dans le groupe ? Comment avez-vous choisi Flow (Miles Oliver). Vous connaissiez-vous avant ? D’où vient la démarche et comment avez-vous réussi à intégrer Flow en Live n’ayant lui-même pas participé à la composition de l’album ?

Flow : Je connaissais Jérôme et surtout Fabien, et j’aimais beaucoup l’album «Et les autres». Cela faisait longtemps que je n’avais pas été replongé dans tel un torrent émotionnel, alors j’ai eu envie de retrouver les lignes de basse pour me faire un plaisir perso. Finalement, il m’est paru complètement évident de leur proposer d’intégrer le groupe et nous jouons ensemble depuis 1 an maintenant. On s’est très vite bien entendus et ils m’ont laissé une entière liberté dans mes parties afin d’enrichir les anciennes compos. Ensuite, on a commencé à vraiment composer en groupe, ce qui est vraiment jouissif. Les moments de répétition, de création, d’enregistrement et de live sont vraiment exaltants.

Fabien : Effectivement la démarche est venue de Flow, que je connaissais d’avant (Old Town Bicyclette Festival).
Au début Jéjé et moi s’accrochions vraiment à notre duo guitare/basse – batterie/chant, mais lorsqu’on a commencé à recommencer à composer, on s’est rendu compte qu’on tournait un peu en rond. Par ailleurs, m’étant exclusivement occupé de la totalité de la vie médiatique / logistique du groupe, notamment le booking de notre première tournée EU (ça m’a pris 6 mois 7/24 !!), j’étais réellement épuisé, vraiment …
Ces deux raisons et la démarche de Flow nous ont convaincu que sa venue serait parfaite. Et tellement logique que ça ait été lui (Le Dead Projet / Miles Oliver). À partir de là, on ne pas dire qu’il y a réellement eu une intégration : dès la première répète (où il connaissait déjà tout le disque), c’était comme s’il avait toujours fait partie du groupe.

Vous avez récemment sorti un split avec le groupe Ysidro. Comment est née cette collaboration ? Le titre sur ce split «The shame» aborde le sujet des violences faites aux femmes et semble faire prendre un virage au groupe. Avez-vous décidé que EUX serait aussi également un moyen de véhiculer des idées politiques et sociétales, ce qui ne semblait pas du tout être le cas sur «et les autres» ?

Flow : J’ai connu John, le bassiste d’Ysidro à Paris, quand il y habitait. Il a joué dans Beau Navire, que j’adorais. On a tout de suite accroché humainement et musicalement. Cela faisait longtemps qu’on parlait de faire quelque chose ensemble, du coup, comme ils sortaient 2 splits, j’ai adoré l’idée et on a décidé d’y inclure notre chanson « The Shame ».

Fabien : L’idée du thème de cette chanson vient de moi, pour autant je ne suis absolument pas politisé ou «sociétisé».
Je voulais même pousser plus loin le concept en associant le clip à une collecte de fond pour un organisme protecteur des femmes. Flow et Jéjé étaient moyen chaud, justement pour ne pas trop politiser le groupe. J’ai entendu, compris et finalement je pense qu’ils ont bien fait.
Effectivement, on fait des groupes pour (essayer) de faire de la jolie musique mais aussi véhiculer des idées et aussi basique que ce soit, celle de la différence femme / homme et particulièrement leur maltraitance est quelque chose que je ne conçois pas. Je te jure, je ne comprends même pas pourquoi il existe une quelconque différence, mais comme chaque être humain sur la planète d’ailleurs. J’accorde simplement plus d’attachement la femme car elle représente pour moi la pureté, la beauté et la bienveillance.

Pouvez-vous m’en dire plus sur la tournée de l’an passé. Comment avez-vous organisé tout ça ? L’accueil de l’album était-il à la hauteur de vos attentes. Avez-vous quelques anecdotes croustillantes sur cette tournée … ? Il me semble également que vous aviez prévu de tourner ce printemps/été ; avec la crise sanitaire actuelle quels sont désormais vos plans à ce sujet ?

Fabien : On a posté notre première publication (des extraits du disque) un dimanche soir fin aout 2018, 2 jours plus tard Missed Out Records (Philadelphie PA - USA) faisait des tapes du disque. Je pense que ça résume assez bien comment celui-ci a été reçu, de notre point de vu tout du moins.
Comme je l’ai dit plus haut, j’ai passé plus de 10 ans dans l’ignorance de la scène screamo, alors qu’il y a un tel vivier international soudé ! On s’est juste contenté de faire à fond ce en quoi on croyait et le reste c’est fait de lui-même. J’estime, en toute humilité, avoir apporter un bout de moi à la scène screamo, au moins pour la remercier de ce qu’elle m’a apportée dans ma vie.
Précédemment évoqué également, le booking de la tournée a été aussi intense et intéressant, que douloureux pour moi qui l'ai mené seul. Bien sûr, sans l’aide de beaucoup de monde, cela n’aurait pas été possible : Flow, premièrement, mais également Antoine de Chalk Hands qui m’a vraiment beaucoup aidé ! Ou encore Karol d’Idioteq ou nos potes de Bright End avec qui on a joué grâce à ce bon vieux Will (El Mariachi).
Comme anecdote croustillante, je pense que la palme peut être attribuée à la vitre avant de la voiture de mes parents haha ! Le seul truc qui me faisait flipper dans une tournée : se faire péter la caisse avec tout le matos dedans. Première date / samedi / 18h00, on venait tout juste d’arriver de Paris, on se gare en plein hyper centre, on va se promener un peu en attendant que le mec du bar soit prêt, on revient à 18h30 : vitre pétée ! À ce moment tu réfléchis très vit(r)e à la suite de la tournée … mais je n’avais pas donné autant de ma personne pour nous arrêter là !! Heureusement, rien de volé (sauf toute les fringues de Jéjé), juste hyper relou le Grenoble > Vicence (IT) en plein hiver à 130km/h avec un sac plastique en guise de vitre.

Flow : On appréhendait de tourner en Angleterre, à cause de l’accueil et de notre budget. Mais la date organisée à Bristol avec 6 groupes était géniale. On a découvert cette ville qui est un vivier de groupes et de gens très ouverts. Cela me rappelait les Etats-Unis où j’ai déjà tourné et où tu dois être capable de jouer dans n’importes quelles conditions et donner le meilleur de toi-même. Cela met tout de suite la barre très haute ... les musiciens anglais m’ont toujours impressionné par leur technique et leur son. Une tournée permet toujours de faire un point sur le groupe et aussi de passer du temps en dehors de chez nous, ensemble. Concernant la tournée de ce printemps, nos calendriers et le virus ont reporté toutes nos dates, mais cela nous laisse du temps pour nous focaliser sur de nouvelles chansons et mûrir notre prochain album.

Ma sempiternelle question que je pose à tous les groupes. Pensez-vous que l’avènement des réseaux sociaux et des moyens de communication électronique a changé notre rapport à la musique et tout particulièrement à la musique live ?

Flow : Personnellement, j’ai toujours trouvé le net indispensable pour la musique : il y a 15 ans je démarchais au téléphone et je passais des journées au téléphone à essayer de joindre les programmateurs. Les réseaux sociaux ont renversé la balance et permis aux auditeurs et programmateurs de nous découvrir avec beaucoup moins d’efforts et de moyens de notre part. A contrario, on en revient maintenant à communiquer et à organiser directement en appelant certains bars ou organisations, ce qui nous rapproche, humanise et simplifie beaucoup plus les rapports. J’ai découvert tellement de nouveaux groupes, grâce aux blogs, bandcamp, fanzine et autres sites. La presse écrite, comme la télévision ne s’intéresse plus aux musiques extrèmes de nos jours. Le confinement nous prouve par contre à quel point ces musiques extrêmes ont besoin d’être vécues en live et ces concerts ne pourront jamais être remplacés par une vidéo ou un enregistrement.

Si vous voulez ajouter un dernier mot pour la fin ...

Fabien : J’ai déjà dit pas mal / beaucoup de trucs, dont des choses qui me sont vraiment chères.
Je voudrais conclure par le plus important des remerciements que je puisse faire en ce qui concerne EUX, à Jérôme, car sans lui et le fait qu’il m’ait supporté (je peux être vraiment relou des fois, je le sais mais c’est plus fort que moi quand quelque chose me tiens à cœur) je n’aurais jamais vécu ce rêve devenue réalité.
Merci également à tous les labels qui nous ont soutenu, HViH et Denis qui a TOUJOURS répondu à mes appels, VOTU, Callous Records, À Fond’Cale, Eastrain Rec (Barque!!!!) et Zilpzalp (Rob et ces deux incroyable fils).
Et bien sûr, je remercie la vie de m’avoir apporté mon fils, ma fille et Karine, sources d’accomplissements inépuisables de mon quotidien et mon avenir.